Temps aux brisures d’enfance quatrième partie,

Quand l’épreuve se perpétue

Il a été difficile émotionnellement pour moi et vertigineux de constater que les adultes avaient deux discours. Le premier étant prospère, je pourrais réussir, ce serait facile, je pourrais faire ce que je veux même avec mon handicap. Et l’autre qui disait, ce sera délicat pour lui, va falloir qu’il étudie beaucoup pour se trouver un travail assis, il ne pourra jamais travailler debout, il va se faire écœurer à l’école, il aura des douleurs toute sa vie. Il devra subir une multitude d’opérations chirurgicales. Ces phrases étaient discordantes de ce qu’on m’avait raconté. Évidemment, elles étaient prononcées en mon absence, mais je peux vous dire que j’avais les oreilles longues. Je détenais une certaine appréhension, je me mis alors à douter de mes capacités et de mon avenir. Et sans aucun doute, j’étais habité d’une confusion, qui disait vrai ? C’était un mix des deux manifestement, mais je n’en avais aucune idée.

Je sais bien aujourd’hui que ces craintes étaient justifiées. Je l’ai vécu, la réalité était dans le deuxième discours bien sûr. Mais à l’époque, j’étais habité par cette discordance. C’est donc sur le chemin de la vie que j’ai vécu mes propres appréhensions.

Certaines personnes étaient incrédules face à la réussite de mon avenir. Ils avaient raison d’être inquiets. Je sentais aussi que mon entourage était chagriné, malheureux et surtout fragilisé. À 10 ans on est allumé et très lucide. Rapidement, je me suis senti coupable de ces discours. Je prenais conscience que mon état dérangeait. Je croyais fermement que j’étais un fardeau. Cette culpabilité, je la gardais pour moi. Un psychologue pour m’assister dans mes craintes mes doutes et mes peurs, m’aurait fait un immense bien.

Imaginez, l’adulte avec ses grands bacs de mémoire, remplit d’inquiétude, d’insécurité, de panique et d’angoisse. Et l’enfant, avec son innocence, sa naïveté, son honnêteté et son optimiste.

Deux mondes, l’adulte surpris, de ma candeur, et moi frappés par leurs lypémanies sombres. On venait de mélanger nos couleurs, un échange de fluide énergétique. L’adulte me voyait  fort avec beaucoup de caractère, pourtant chez moi venait de naitre le doute de l’échec possible. Je venais de prendre contact avec la culpabilité, imputabilité infligée à moi-même, il m’était impossible de l’identifier avec des mots. Je la sentais grandir dans mon plexus. Pour la première fois de ma vie, mon diaphragme était vulnérable à mes émotions, je le sentais respirer à ma place par la peur. Cette froideur qui prenait naissance un peu en haut du ventre et qui souvent était accompagnée d’une bouche sèche. J’étais jeune pour vivre une crise d’anxiété ne trouvez-vous pas ?

Après l’épreuve, les premiers évènements sont marquants. Les contacts avec la vie déterminent régulièrement l’angle dans laquelle nous allons prendre notre élan, notre envol. Moi, je n’ai pas su bien rebondir, ce n’est pas de la responsabilité de personne, car nous ne possédions pas les outils nécessaires pour agir autrement. Un enfant affligé est vulnérable, fragile, il est une proie facile. Mes parents ont tout fait pour moi, avec leurs cœurs et leurs connaissances. J’ai ressenti leurs présences près de moi toute ma vie, comme si ils se sentaient blâmables de ne pas avoir été à mes côtés le jour de l’accident. Et pourtant non, c’est l’évidence, c’était une fatalité un point c’est tout. Mais ce sentiment est défendable, n’est-ce pas ?

Eux aussi ont vécu un traumatisme. Voir leur fils de 10 ans dans un lit d’hôpital avec une jambe en moins, cela devait être déchirant à fendre l’âme. Ils étaient très conscients de ce qui m’attendait, de mes limitations, une jambe, ça ne repousse pas…

Il n’y a pas que l’accident, les jours et semaines qui ont suivi ont été difficiles et même horribles. Demander à ma mère si elle se souvient du premier changement de pansement. C’est un moment carrément triste et bouleversant. Je vous raconte, ils m’avaient offert un cachet par voie orale même pas 10 minutes avant de commencer, trop tôt pour influencer sur la douleur. La souffrance était telle que je ne pouvais retenir mes cries. La vue d’un morceau de bœuf explique la vision horrible qu’on avait moi et ma mère en regardant mon moignon. Je dois dire qu’on ne m’avait fait aucune greffe, alors le pansement était collé directement à la chair. Juste cet incident est marquant et difficile, même impossible à oublier. Il n’y avait personne pour nous aider à gérer ces moments. Après la complication le médecin et l’infirmière sont sortis de la chambre. Moi et ma mère sommes restés dans le silence. Ce qui venait de se passer était troublant, on ne savait pas comment réagir à ça. Écoutez, c’était le début d’une série d’évènements triste qui se pointait devant moi. L’aube d’une vie chambardée et connue que par les arcanes.

Des crises difficiles, il y en a eu à profusion. Je devais apprendre à gérer ma vie à une cadence très élevée. Les jours et les semaines qui ont suivi m’ont poussé à devenir un adulte très rapidement. Gérer était le mot à l’honneur. La douleur a été très laborieuse, il a fallu que j’apprenne à vivre avec, car elle était constamment présente. Dans mon cas, je sens toujours mon membre amputé. Et les douleurs reliées sont très fortes. Je vais vous expliquer ce qu’est le membre fantôme.

Ce terme a vu le jour en 1874. Voici l’explication qu’on en a faite; c’est l’illusion de la persistance de perceptions sensitives et motrices que l’amputé attribue au membre absent. Je préfère le terme membre fantôme c’est moins compliqué. Dans l’exemple qui suit, je vais parler de moi, je ne veux pas m’exprimer pour les autres. Premièrement, je sens toujours ma jambe, si je me concentre, je peux même bouger mes orteils. Quand je marche avec ma prothèse, je n’ai pas l’impression de mettre mon pied dans le vide grâce à cette sensibilité, mes douleurs sont celles-ci; brûlures, choc électrique, crampe, sentiment que la peau est perforée par plusieurs clous. Je peux aussi avoir la sensation de fourmillement, ou encore de chatouillement. C’est une bonne chose que l’on puisse sentir notre membre fantôme. Par contre, les douleurs reliées sont difficiles à vivre et dans mon cas presque toujours présentes. Pour les pallier, il existe des traitements efficaces.

L’étendue de mon histoire est telle que c’est difficile pour moi d’être concis. C’est pourquoi j’ai choisi de vous raconter trois épisodes douloureux qui m’ont marqué à vie. Je vais être bref dans leurs descriptions sans être lapidaire. Mais ce sera dans la prochaine publication.

Merci.

N’hésitez pas à m’écrire en privé si vous préférez, à alainayers@hotmail.com

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