Temps aux brisures d’enfance,

Première partie.

Il y a plus de 40 ans, j’ai été affligé d’un grave accident. Dans cette épreuve, j’ai perdu ma jambe droite en bas du genou. J’avais 10 ans à l’époque. Suite à ce traumatisme, j’ai dû côtoyer les hôpitaux pour de nombreuses opérations. J’ai aussi affronté plusieurs rechutes et chacune d’entre elle comprenait une équipe interdisciplinaire. Donc, ergo, physio, travailleur social, psychologue, prothésiste, infirmier, médecin. Ce groupe se rencontrait régulièrement afin de discuter de ma progression avec le bût ultime de me redonner une autonomie dans un temps raisonnable. Je dis raisonnable, car dans mon cas, le respect de mes limites n’était pas trop à l’ordre du jour. J’ai donc pendant toutes ces années fréquenté les hôpitaux et les centres de réadaptation.

Vous savez, même avec une grande équipe, il est risqué de passer à côté de chose importante concernant le cheminement de notre enfant. Mes parents ont fait ce qu’ils ont pu, avec leur connaissance. Il  ne faut pas oublier qu’ils étaient accablés. Leur enfant venait de perdre un membre. Ce n’est pas rien. Et pendant ce temps, la vie continue, il faut poursuivre, travailler et prendre soin des autres qui restent à la maison. C’était un grand choc pour notre famille ce qui venait de se passer. Il ne faut pas oublier que l’épreuve est une fracture dans le temps, elle change l’ordre des choses. On peut passer à travers, s’en servir pour se renforcir et grandir avec elle ou encore rester fragilisé et en mourir. On a toujours le choix.

Quelques années après mon accident, je me suis impliqué dans l’organiste les Amputées de guerre du Canada. Je rencontrais les médias pour parler de mon handicap afin de démontrer qu’on peut s’en sortir. Leurs fonctions sont vraiment très importantes, grâce à eux, j’avais les meilleures prothèses. Ils offraient aux jeunes amputés la chance de pouvoir faire un sport qui demandait de l’équipement spécialisé, exemple les prothèses et orthèses. Le nom qu’il porte n’a plus de lien avec les amputés de guerre, ils existent vraiment pour aider les jeunes du Canada en bas âge seulement. C’est grâce aux porte-clés que vous achetez qu’il est possible de financer ces appareils.

En voici un exemple; la première prothèse qu’ils m’ont payée valait 6000$. Étant accidenté de la route, la SAAQ est mon organisme payeur après la RAMQ. Je m’explique; Au moment de la fabrication d’une prothèse spéciale, une demande est faite au gouvernement, si elle est refusée, la même demande sera faite à la SAAQ, le dernier recours est Les Amputés de Guerre du Canada. Donc on comprend que notre gouvernement paye des prothèses de bases. C’est malheureux pour les enfants qui naissent avec un handicap. C’est donc dans ces circonstances que les parents peuvent se tourner vers cet organisme, leur soutient est incroyable, incalculables. On offre à l’enfant la possibilité de se déplacer plus facilement, ou encore faire un sport sécuritaire avec la bonne adaptation. On est loin d’un caprice. Dans mon cas, c’était une jambe en fibre de carbone. Elle était plus flexible et plus légère. Cela protégeait mon dos des secousses pendant les sports de contacts. Aussitôt la demande faite, J’ai attendu le téléphone pour l’autorisation jour après jour. Comme-ci j’espérais la confirmation d’un prêt pour une voiture. Je me souviens de ce moment comme-ci c’était hier. Comme quoi les priorités ne sont plus les même.

Donc, au moyen de cet organisme, j’ai pu pratiquer mon sport favori qui était le karaté. Avec mon implication reliée aux Amputés de Guerre du Canada, les journalistes ont commencé à s’intéresser à moi. Je donnais espoir aux jeunes frappés par la fatalité. Alors ils assistaient à mes activités et je leur donnais des entrevues autant pour la télé que pour les journaux. À cette époque, mon frère avait son école d’arts martiaux. J’y donnais des cours chaque semaine. Je caressais aussi le rêve d’avoir mon propre établissement adapté afin d’aider les gens avec des handicaps. Ce projet n’a jamais vu le jour, dévié par le temps et autre idée.

Mes parents ont eu trois garçons, je suis le cadet. Au domicile, il y avait beaucoup de va-et-vient. Nous habitions chez ma grand-mère qui possédait une maison de chambre. Le commerce à mes parents était au sous-sol. Comme dans la majorité des foyers, il y avait beaucoup d’action à la maison. J’étais dans un milieu ou l’amour régnait. Autour de 1975, mes parents ont acheté un chalet sur la Rive-Sud de Québec, Lévis pour être plus précis. Vers la fin des années 70, mes parents ont transformé ce chalet en maison et nous y avons emménagé avec ma grand-mère. La musique était très présente, mon père est multi-instrumentiste alors imaginez les belles soirées en famille. Même si j’en étais imprégnée, je n’avais encore aucun indice qui aurait pu laisser croire à mon désir d’en faire un jour.

Avant l’accident, j’étais un enfant enjoué, j’aimais beaucoup côtoyer les adultes. J’étais curieux et amoureux de la vie. Avec le recul, j’ai quand même la sensation d’avoir été un enfant contrastant. Quand vous étiez jeune, est-ce que vous aviez la même sensation ? Pas que j’étais mieux ou pire, juste différent, je me sentais comme ça. Pour être plus précis dans mon ressentie,  je vous dirais que je me sentais fragile, très fragile. J’avais les émotions à fleur de peau. Amoureux de la vie en général, la souffrance mondiale m’obnubilait profondément. À bien y penser, c’était peut-être mon côté artistique qui pointait son nez. J

Vous savez, un enfant, ça vit au jour le jour avec son petit bagage. Quand je parle de bagage, je parle de ces mémoires, ces filières, ces expériences. Il est important d’être vrai, clair et précis avec un enfant. On sous-estime souvent le pouvoir de leurs compréhensions. On doit rester dans le moment présent avec eux, ils ne comprennent pas la nécessité de s’en faire pour plus tard et c’est bien ainsi. C’est malheureux d’égarer cette façon de vivre en étant adulte, on a intérêt à s’y reconnecter.

Quand le malheur frappe à cet âge, l’innocence et l’inconscience des enfants les protègent de la grande charge du drame. Il ne faut surtout pas leurs propager nos craintes ou encore nos peurs. Ils n’ont pas besoin de ça. La responsabilité est déjà assez lourde comme ça. À cet âge, ils devraient se contenter d’aller à l’école et jouer avec leurs amis. Il ne faut pas transmettre des inquiétudes supplémentaires. Je peux vous assurer que même affligée, on reste dans le moment présent. Les projets d’un enfant se construisent un jour à la fois.

La responsabilité des mots est non négligeable. Aujourd’hui, je ne crois pas qu’on ait le droit de dire à un enfant qu’il pourra faire ce qu’il veut de son avenir. Il existe une grande nuance dans cette pensée. Même chose pour un enfant qui n’a pas subi d’accident. Dans la vie, on a des forces et des faiblesses qui constituent la personne que l’on est. Les choix qu’on aura à faire se feront dans cette connaissance. On prendra aussi conscience de nos habilités et de nos passions profondes. Il est important d’accompagner l’enfant dans la recherche de sa volonté intérieure. On peut l’aider à découvrir qui il est, dans le respect de ses limites.

Avec la suite de mon histoire, je vous raconterai en détail mon accident et j’aborderai le thème respect de ses limites. C’est la chose la plus importante et j’en ai pris conscience il y a peu de temps.

Merci de m’avoir lu, j’espère avoir vos commentaires.

N’hésitez pas à m’écrire en privé si vous préférez, à alainayers@hotmail.com

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